Prendre le temps.

03 avril 2020 / ParJuliette Raynaud

© Planet Earth on a break. Joel West Photography — 2020

Nous devons prendre nos responsabilités individuellement et limiter drastiquement nos déplacements, pour nous protéger bien sûr, mais surtout pour protéger les autres. La course après le temps que l’on perd au quotidien, comme le lapin d’Alice au Pays des Merveilles, est soudain suspendue. Ne serait-ce pas le moment pour prendre de la distance -sans mauvais jeu de mots- et réfléchir à nos habitudes, à nos modes de vie, à nos priorités ?

On n’a plus rien d’autre à faire que de VIVRE ce moment. Vivre au présent, comme nous y invite le yoga. Voilà. Un exercice pratique.

Prendre le temps de réfléchir, de faire ces choses essentielles qu’on remettait toujours à plus tard. Ce temps, on le voulait, on l’attendait, on ne l’espérait plus. Reprendre contact avec soi, avec les autres, se parler, dormir, lire… Revenir à l’essentiel. Se découvrir des ressources insoupçonnées. Des pensées insoupçonnées. Des désirs insoupçonnés -si j’en crois la courbe des ventes de sex-toys (encore que ça aussi, on pourrait en parler). Prendre le temps de ne plus les taire, de ne plus les remettre à plus tard. Prendre le temps de tirer les fils, de regarder autour de soi, de voir ces livreurs, ces manutentionnaires, ces agents d’entretien et bien sûr ces personnels soignants qui crient leur manque de moyens et leur détresse depuis des mois.

En faisant passer le “business” avant l’humain, en pensant que nos profits valent plus que leurs vies, nous n’avons pas su entendre les signaux faibles devenus forts d’une société en crise. En remettant la solidarité à plus tard, quand nous en aurons “les moyens”, quand nous pourrons nous le “permettre”, nous avons perdu de vue l’essentiel.

Et si c’était aussi le moment d’en finir avec la glorification de l’activité performée ? Avec les impostures sociales pour mieux se fuir soi-même ? Avec la course effrénée de la surconsommation ?

On vit au ralenti. On prend des nouvelles, on s’entraide, on s’écoute, on se parle, on entend enfin ce que l’on ressent, ce que l’autre ressent. On devient créatif.ve. On accorde une pause à la planète. L’heure est à l’hommage aux services publics et à la dénonciation de l’inhumanité du système financier. Et si cette crise aboutissait à un changement de notre modèle économique ? Et si le jour d’après n’était pas un retour au jour d’avant ? Chiche.

Qui s’est cru plus fort que le virus en fuyant Paris pour se mettre au vert le temps du confinement ? Qui a préféré son confort à la sécurité de tou.tes ? N’est-ce pas ceux et celles qui donnent des leçons au quotidien, qui pensent qu’il n’y a pas d’alternative à la croissance, tout le temps, à tout prix ? N’est-ce pas ceux et celles qui prétendent tout “ réinventer “ pour que rien ne change ?

D’autres ont enfin pris conscience que certains domaines doivent échapper aux lois du marché, aux logiques de rentabilité. Beaucoup n’ont pas eu besoin de cette crise pour se rendre compte du délitement de nos liens sociaux, de l’absence de protection sociale des indépendants, du manque de moyens et de personnel dans les hôpitaux.

Les angoisses au sujet du travail sont nombreuses. Les auto-entrepreneur.es précaires s’inquiètent, les indépendant.es et petits entrepreneur.es s’inquiètent, les ouvrier.es s’inquiètent, les caissier.es s’inquiètent, les personnels soignants s’inquiètent beaucoup… Ensemble, on peut apprendre de cette crise. Ensemble, on peut empêcher la suivante.

Une fois la crise passée, n’oublions pas de penser au sens de ce que nous faisons. N’oublions pas les personnels soignants et les hôpitaux publics comme nous avons oublié les pompiers une fois l’incendie de Notre-Dame éteint. N’oublions pas l’importance d’un système de santé solidaire et prévoyant, qui repose sur l’accès à des soins de qualité pour tou.tes. N’oublions pas l’importance des hôpitaux de proximité et de notre conquis le plus précieux : la Sécurité Sociale. C’est elle qui permet aujourd’hui aux Français.es de se confiner sans avoir peur de finir à la rue.

La rue. Que faisons-nous de ceux et celles qui y vivent ? Qui sont condamnés à y vivre, oubliés d’un système qui fait passer l’humain et ses droits après les exigences d’un marché sans visage ?

Une fois la crise passée, n’oublions pas que nous avons pu faire autrement, un temps au moins. Il y a donc une alternative. Une alternative à construire.

Nous sommes finalement plus proches que jamais. Protégeons-nous les uns les autres en gardant le cœur, les yeux et l’esprit ouverts. Ecoutons-nous respirer. Ecoutons la planète respirer.

À propos de l'auteur

Juliette Raynaud

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